Buy American: voici le «deal» à proposer à Biden

Publié le 29/01/2021 à 17:00

Buy American: voici le «deal» à proposer à Biden

Publié le 29/01/2021 à 17:00

Joe Biden et Justin Trudeau

Le président américain Joe Biden et le premier ministre canadien Justin Trudeau (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE — Le nationalisme économique et le protectionnisme sont là pour rester aux États-Unis. Ces politiques ont non seulement été renforcées par la pandémie de COVID-19, mais elles sont aussi une tendance lourde dans l’histoire du pays. Aussi, il faut repenser l’intégration économique de l’Amérique du Nord afin de mieux gérer ce risque d’affaires pour nos entreprises. Bref, il faut proposer «un deal» au nouveau président Joe Biden.

Nous avons la mémoire courte. Ce n’est pas l'ancien président Donald Trump qui a inventé le protectionnisme avec sa politique de «l’Amérique d’abord». Ni Joe Biden, qui le pousse un cran plus loin en renforçant la disposition du Buy American (adoptée en 1933, lors de la Dépression) afin de favoriser davantage les achats locaux aux États-Unis.

Selon le Wall Street Journal, le protectionnisme américain remonte aux années 1790, alors que la jeune république a imposé des tarifs douaniers pour protéger ses industries naissantes de la concurrence étrangère, essentiellement britannique à l'époque.

Le pays n’allait pas en rester là.

Au 19e siècle, Washington a imposé des tarifs douaniers élevés, frôlant même les 50% en 1830. Durant la Dépression des années 1930, le tarif moyen sur les importations protégées a bondi de 39 à 53%.

Ce n’est qu’en 1945, au zénith de leur puissance économique et face à une Europe en ruine, que les États-Unis sont devenus les plus grands partisans du libre-échange.

Cet activisme a mené à la création du GATT, en 1948, puis à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en 1995, qui ont permis de réduire les barrières au commerce érigées dans le monde lors de la Grande Dépression et de la Deuxième Guerre mondiale.

 

La fin de la mondialisation heureuse

Par contre, Washington a changé son fusil d’épaule au début des années 2000, et ce, en raison la concurrence de la Chine et de la récession mondiale de 2008-2009, qui ont fait perdre des millions d’emplois manufacturiers aux États-Unis.

L’administration Obama (2009-2017) a alors notamment renforcé le Buy American.

On connaît la suite avec l’administration Trump, et les premières salves tirées ce mois-ci par la nouvelle administration Biden: le nationalisme économique et le protectionnisme continuent de prospérer au sud de la frontière.

Et cette tendance ne va pas se renverser dans un avenir prévisible.

C’est pourquoi, comme aux échecs, le Canada doit tenter d’anticiper les coups. Et cela passe par une plus grande intégration économique de l’Amérique du Nord afin de limiter l’impact de ces politiques sur les entreprises canadiennes.

Cet automne, François-Philippe Champagne, alors ministre fédéral des Affaires étrangères (il est aujourd’hui à l’Innovation), a lancé l’idée d’une politique dite du Buy North American pour réduire ce risque géopolitique.

Il s’agirait de créer une politique d’achat «local» nord-américaine. Elle intégrerait les approvisionnements des gouvernements et les projets d’infrastructure financés par des fonds publics au Canada, aux États-Unis et au Mexique.

 

Les États-Unis sont devenus moins en faveur du libre-échange à compter des années 2000. (Photo: 123RF)

 

En entrevue à Les Affaires, deux spécialistes en droit du commerce international ont indiqué que cette approche est techniquement possible, et qu’elle respecterait les règles du commerce international.

Tom Creary, fondateur et membre du conseil d’administration du chapitre québécois de l’American Chamber of Commerce (AMCHAM), trouve «excellente» cette idée de créer un Buy North American.

À ses yeux, on pourrait même imaginer une politique d’achat continentale qui garantirait dans le même temps un minimum de contenu local, en plus de réserver certains contrats à de petites entreprises dans les trois pays.

 

Un comité pour analyser un Buy North American

Tom Creary estime qu’Ottawa devrait créer un petit comité d’experts pour évaluer la faisabilité d’un Buy North American et son application concrète sur le terrain.

Du reste, cette éventuelle politique serait une suite logique à l’intégration progressive des économies de l’Amérique du Nord, et ce, du Pacte de l’automobile (1965 à 2001) à l’Accord de libre-échange nord-américain (en vigueur depuis 1994).

Projet irréaliste, diront certains à coup sûr.

Certes, une telle intégration demanderait de longues négociations, d’autant plus qu’Ottawa et Washington ont déjà des différends commerciaux, dont le bois d’œuvre.

Par contre, si l’Europe occidentale a pu intégrer son économie après 1945, en s’appuyant sur le couple franco-allemand pour créer la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951 (à l'origine de l'Union européenne), l’Amérique du Nord peut faire son bonhomme de chemin.

Mais à la nord-américaine.

C’est-à-dire, en préservant la souveraineté politique des trois «amigos», car notre réalité est très différente.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand