Assistons-nous au début de la déconstruction européenne?

Publié le 28/10/2017 à 09:31

Assistons-nous au début de la déconstruction européenne?

Publié le 28/10/2017 à 09:31

Des Catalans tiennent tête à la police espagnole. (Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Un autre séisme politique s’abat sur l’Europe. Après le vote en faveur du Brexit en juin 2016, la Catalogne a déclaré ce vendredi son indépendance de l’Espagne, accentuant l’instabilité politique dans la péninsule ibérique, mais aussi dans l’ensemble de l’Union européenne.

La résolution adoptée vendredi à la majorité par le parlement catalan déclare que la région devient un «État indépendant prenant la forme d'une République», rapporte l’Agence France Presse (AFP).

Presque au même moment, le Sénat espagnol a adopté l'article 155 de la constitution afin d'accorder au gouvernement central la possibilité de mettre la Catalogne sous tutelle. Ce qu’il a fait sur le champ, tout en convoquant des élections régionales pour le 21 décembre.

La crise est donc totale entre Madrid et la Catalogne.

Et la suite des choses risque d’être critique, voire dramatique.

Quelle sera la réaction de l’Espagne si une partie importante de la population catalane n’accepte pas cette mise en tutelle?

Le gouvernement espagnol enverra-t-il l’armée, quarante ans après la fin de la dictature de Franco?

Quelle sera la réaction de la police régionale de la Catalogne? Restera-t-elle fidèle au gouvernement catalan ou au gouvernement central?

Des affrontements armés sont-ils possibles?

Difficile d’imaginer un tel scénario dans un pays membre de l’Union européenne.

Enfin, des pays reconnaîtront-ils l’indépendance de la Catalogne? Plusieurs États ont déjà indiqué qu’ils ne le feraient pas, dont le Canada.

Et, en Europe, on voit difficilement comment Bruxelles et les principaux pays de l’Union pourraient reconnaître le nouvel État catalan proclamé.

Les mouvements autonomistes en Europe

Car plusieurs pays comme la France, l’Italie et l’Allemagne abritent aussi des mouvements autonomistes ou indépendantistes, comme le montre cette carte publiée par le quotidien britannique The Guardian.

On comprend donc pourquoi la crise en Espagne inquiète au plus haut point les leaders européens, sans parler des entreprises et des investisseurs.

Le risque géopolitique en Europe vient de monter d’un cran.

Tout d’un coup, le long processus d’unification politique du continent amorcé après la Deuxième Guerre mondiale semble plus que jamais avoir du plomb dans l’aile.

Selon plusieurs spécialistes, le Brexit et la déclaration d’indépendance de la Catalogne sont à la fois le symptôme d’une crise de la construction européenne et de la légitimité de certains États-nations d’Europe.

Un rappel historique s’impose ici afin de mettre les choses en perspective.

Après la Deuxième Guerre mondiale, les Européens ont dit: jamais plus de luttes fratricides entre les peuples d’Europe. La solution? Intégrer économiquement et politiquement les ennemis d’hier afin que toute guerre soit impensable.

Cette idée d’une Europe unie a d’abord donné naissance à la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) en 1951.

Puis, en 1957, c’était au tour de la Communauté économique européenne (CEE) de voir le jour en regroupant six pays, la France, l’Allemagne de l’Ouest, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas.

Aujourd’hui, l’Union européenne compte 28 pays (en incluant le Royaume-Uni, car le Brexit n’est pas encore effectif). De plus, 19 d’entre eux partagent la même monnaie, l’euro.

Par contre, depuis quelques années, plusieurs citoyens européens ont déchanté à l’égard de la construction européenne, un processus qui réduit graduellement la souveraineté des pays au profit des institutions européennes.

Cela s’est traduit par une montée des partis autonomistes ou nationalistes aux quatre coins de l’Europe.

Un tiers des Bavarois en faveur de l’indépendance

L’Italie et l’Allemagne –deux États-nations relativement récents dans l’histoire européenne– sont aux prises avec ces mouvements, souligne The Guardian.

En Italie, la région de la Lombardie (10 millions d’habitants ou 17% de la population), le poumon économique du pays, veut une plus grande autonomie de Rome. La petite Vénétie (4,9 millions ou 8% de la population) souhaite aussi une plus grande autonomie.

En Allemagne, la riche région de la Bavière (12,9 millions d’habitants ou 15,6% de la population), abrite un fort mouvement nationaliste depuis son incorporation à l’Allemagne moderne en 1871.

Un sondage réalisé en 2017 montre qu’un Bavarois sur trois est en faveur de l’indépendance.

En Belgique, la région de la Flandre (6,3 millions d’habitants ou 56,3% de la population) compte un nombre important de citoyens en faveur de l’indépendance.

Même la France est aux prises avec des mouvements autonomistes, en Bretagne (3,3 millions d’habitats ou 5,3 % de la population) et en Corse (329 599 habitants ou 0,49% de la population).

Dans ce contexte, que peuvent faire les États européens et l’Union européenne afin d’éviter d’autres Brexit ou des déclarations d’indépendance comme en Catalogne?

Ils doivent décentraliser leurs pouvoirs et accorder une plus grande autonomie aux régions afin qu’elles puissent mieux exprimer leurs différences (langue, culture, etc.) et leurs priorités socio-économiques (libéralisme, social-démocratie, etc.).

Mais le défi est de taille.

Car les capitales européennes et Bruxelles doivent trouver un nouvel équilibre entre l’harmonisation des règles au sein des États et de l’UE tout en accordant suffisamment d’autonomie aux régions afin qu’elles puissent mieux exprimer leurs différences.

Reste à voir s’ils auront la volonté politique de le faire.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand