ALÉNA: heureusement que le Canada a diversifié ses marchés

Publié le 27/01/2018 à 10:40

ALÉNA: heureusement que le Canada a diversifié ses marchés

Publié le 27/01/2018 à 10:40

Le premier ministre du Japon, Shinzo Abe (source: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Après l’Union européenne, le Canada vient d’ouvrir un nouveau marché pour les entreprises canadiennes grâce à l’Accord de partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Ce futur accord de libre-échange regroupe 11 pays qui constituent une autre alternative à l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) que Donald Trump menace de saborder.

Le PTPGP est l’ancien Partenariat transpacifique (TPP, en anglais), un projet d’accord de libre-échange qui comprenait 12 pays, dont le Canada et les États-Unis. Le 30 janvier 2017, les Américains ont refusé de ratifier le TPP, quand Donald Trump est devenu officiellement le nouveau locataire de la Maison-Blanche.

Les 11 autres pays n’ont toutefois jeté l’éponge.

Ils ont poursuivi les discussions, et ils ont signé un accord le 23 janvier dernier. Le PTPGP n’est pas encore en vigueur, mais il pourrait l’être dès cette année.

Lorsqu’il sera en place, le Canada aura un nouvel accord de libre-échange avec 10 pays riverains développés et émergents de l’océan Pacifique : l’Australie, Brunei, le Chili, la Malaisie, le Mexique, la Nouvelle-Zélande, la Pérou, Singapour, le Vietnam et le Japon.

Le Canada est déjà en situation libre-échange avec le Mexique, le Chili et le Pérou.

Les 11 pays du PTPGP abritent 495 millions d’habitants et représentent un PIB cumulé de 13 500 milliards de dollars canadiens.

Près de 60% du PIB des États-Unis

Ce qui représente près de 60% de la taille de l’économie américaine, qui atteint actuellement 23 800 G$CA, selon le World Factbook de la CIA, l’agence américaine du renseignement.

Quand cet accord sera en vigueur, le Canada se retrouvera dans une situation très enviable dans le monde.

Il aura à la fois un accord de libre-échange avec les États-Unis, l’Union européenne et le Japon, sans parler d’autres pays de l’Asie-Pacifique comme le Vietnam, un pays de 96 millions d’habitants qui devrait afficher une croissance de 6,3% en 2017, selon le Fonds monétaire international (FMI).

Sur la planète, un seul pays se retrouve dans la même situation que le Canada, soit le Mexique. Pays membre de l’ALÉNA, le Mexique a depuis 2 000 un accord de libre-échange avec l’UE. Il fait aussi partie du PTPGP.

Si jamais l’administration Trump décidait de retirer les États-Unis de l’ALÉNA, le Canada aurait donc deux alternatives intéressantes au libre-échange avec les Américains.

Les 10 États du PTPGP (excluant le Canada) affichent un PIB cumulé de 11 500 G$CA. En 2016, les exportations canadiennes dans ces marchés ont totalisé 17 900 G$CA, selon l’Institut de la statistique du Québec (ISQ).

C’est exactement le même niveau que les expéditions de marchandises de nos entreprises au Royaume-Uni, le troisième marché d’exportation du Canada après les États-Unis (394,4 G$) et la Chine (20,9 G$).

Le Japon est LE marché clef pour le Canada dans le PTPGP. En 2016, nos exportations ont atteint 10,7 G$CA.

Le Vietnam est un autre marché très intéressant pour nos entreprises. Pour l’instant, les exportations canadiennes y sont relativement modestes à 528 millions de dollars canadiens. Par contre, elles progressent très vite.

Pour leur part, les 28 pays de l’Union européenne (en incluant le Royaume-Uni) affichent un PIB cumulé de 20 400 G$CA.

Un accord de libre-échange entre le Canada et l’UE est en vigueur depuis septembre 2017. En 2016, les exportations canadiennes dans ce marché de 516 millions d’habitants ont totalisé 40 G$CA.

La fin de l’ALÉNA ne serait pas une catastrophe

Bien entendu, la fin de l’ALÉNA (voire de l’Accord de libre-échange entre le Canada et les États-Unis de 1989) ne serait pas une bonne nouvelle pour le Canada et les exportateurs canadiens.

Par contre, cela ne serait pas une catastrophe.

À la fin de 2017, le Mouvement Desjardins (Canada : et si l’ALÉNA était aboli?) et BMO Marchés des capitaux (The Day After NAFTA) ont publié une analyse qui minimise l’impact d’un tel scénario sur l’économie canadienne.

Desjardins et BMO ont adopté la même hypothèse, c’est-à-dire que l’ALÉNA est aboli et l’ALÉ de 1989 n'est pas réactivé.

Dans ce contexte, il ne resterait de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour encadrer les échanges le Canada et les États-Unis. Le cas échéant, Washington appliquerait les tarifs moyens de l’OMC sur les exportations canadiennes.

Il va sans dire que la fin du libre-échange canado-américain aurait des impacts négatifs au Canada, selon les deux institutions financières.

Desjardins estime que les coûts administratifs des entreprises pourraient augmenter en raison du rétablissement de tarifs douaniers, comme avant 1989. De plus, l’incertitude pourrait aussi ralentir des investissements au Canada.

Selon BMO, l’Ontario serait la province la plus touchée, notamment dans l’industrie automobile. Dans l’ensemble du Canada, des secteurs pâtiraient plus que d’autres tels que la machinerie, l’électronique et les équipements de transport.

Malgré tout, la fin du libre-échange ne serait pas une catastrophe, insistent les deux institutions financières.

Pourquoi ?

La mondialisation des marchés s’est accélérée ces dernières décennies. Or, ce phénomène a fait en sorte réduire les tarifs douaniers de manière significative, selon Benoit P. Durocher, économiste principal chez Desjardins.

«Au bout du compte, avec ces tarifs moyens relativement faibles, leur effet sur le prix des importations américaines serait assez limité en général», écrit l’auteur de l’étude.

Par exemple, les tarifs qui viseraient les dix plus importantes catégories de biens canadiens exportés aux États-Unis (représentant 68% de nos exportations au sud de la frontière) oscilleraient de 0% à 4,3%.

Rien pour empêcher vraiment des entreprises canadiennes de vendre leurs produits au sud de la frontière.

Actuellement, les Américains imposent des droits compensateurs et antidumping de 27% sur les exportations canadiennes de bois d’œuvre. Pourtant, les producteurs canadiens continuent d’exporter massivement aux États-Unis, car la demande y est importante dans l’industrie de la construction.

La multiplication des accords de libre-échange du Canada permet aux entreprises canadiennes de diversifier leurs risques commerciaux. Ainsi, si un marché se ferme, les autres permettent de compenser en grande partie les pertes potentielles.

Bref, la stratégie d’Ottawa ressemble à une stratégie pour investir en Bourse : il ne faut jamais mettre tous ses œufs dans le même panier.

En concluant des ententes avec l’Union européenne et 10 pays riverains du Pacifique, le Canada a ainsi offert d’autres paniers aux exportateurs canadiens.

Et une manière de réduire les risques pour les investisseurs qui investissent dans ces entreprises.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand