« Une seule santé » pour contrer les pandémies


Édition du 11 Novembre 2020

« Une seule santé » pour contrer les pandémies


Édition du 11 Novembre 2020

La pandémie de ­COVID-19 a débuté dans un marché public à Wuhan, en Chine. (Photo: Airam Dato pour Unsplash)

CHRONIQUE. Que fait un entrepreneur avisé lorsqu’il s’aperçoit qu’une pratique dans sa chaîne d’approvisionnement affecte ou paralyse carrément sa chaîne de production ? ­Il ne change pas ses machines ; il s’attaque plutôt à la cause du problème, en amont, pour éliminer ou atténuer ce risque opérationnel. Eh bien, c’est sensiblement la même chose avec le risque de pandémie : il faut s’attaquer à la cause du problème pour ne pas subir d’autres crises à répétition dans les prochaines décennies.

La meilleure façon de réduire ce risque, c’est de promouvoir des politiques publiques dans le monde qui s’appuient sur le principe d’« ­Une seule santé », ou ­One ­Health en anglais, affirment un nombre grandissant de spécialistes, surtout issus du monde vétérinaire. Une réflexion à laquelle les décideurs économiques et politiques doivent impérativement s’intéresser.

Personne ne veut revivre une autre pandémie comme celle de la ­COVID-19. Cette dernière n’est du reste pas tombée du ciel. Elle est plutôt le fruit de nos mauvaises politiques de développement économique depuis la seconde moitié du 20e siècle.

En quoi consiste le concept d’Une seule santé ? C’est une idée d’une grande simplicité, née au début des années 2000.

Elle fait la promotion d’une approche intégrée, systémique et unifiée de la santé publique de la santé humaine, animale et environnementale, et ce, autant à l’échelle locale que nationale et planétaire (voir, notamment, l’article ­The evolution of ­One ­Health : a decade of progress and challenges for the future, écrit par ­Paul ­Gibbs en 2014).

Pour mieux comprendre ce concept, survolons rapidement celui de développement durable, qui nous est plus familier.

Imaginons les trois cercles qui s’entrecroisent lorsqu’on parle de développement durable (DD) : l’économie, l’environnement et la société. Le vrai ­DD se situe donc dans la zone d’intersection de ces trois cercles. À l’extérieur de cette zone, le développement n’est ni durable ni optimal, négligeant de facto les intérêts des générations futures.

C’est la même chose pour le concept d’« ­Une seule santé ». Imaginez trois cercles (santé humaine, santé animale, santé environnementale). La vraie santé se trouve donc à l’intersection de ces trois cercles, avec un accent mis sur la santé animale, puisque les animaux sont l’origine de 60 % des maladies infectieuses connues. Hors de cette zone, la santé dans son ensemble n’est pas optimale et nous met tous à risque de subir des pandémies à répétition.

Pourquoi ? ­Parce qu’au moins 75 % des agents pathogènes infectieux humains émergents (notamment ­Ebola, le ­VIH et la grippe) sont aussi d’origine animale, selon l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE).

Par conséquent, nous devons arrêter de détruire des forêts et des milieux naturels, car cela met en contact des espèces animales — porteuses d’agents infectieux — avec des communautés humaines, permettant ainsi aux pathogènes de « coloniser des territoires inhabituels et d’évoluer sous de nouvelles formes », souligne l’OIE.

La pandémie de ­COVID-19, qui a débuté dans un marché public en ­Chine (à ­Wuhan), où l’on vendait des animaux sauvages, en est sans doute le meilleur exemple. Un risque de transmission qui s’accentue aussi en raison de la mondialisation et de la mobilité humaine, qui font en sorte qu’une femme d’affaires peut prendre un vol à ­Wuhan pour se rendre à ­Vancouver en moins de 20 heures, incluant les escales.

Mais ce phénomène de transmission n’est pas nouveau. C’est ce qu’explique la journaliste scientifique ­Sonia ­Shah dans son essai ­Pandémie : traquer les épidémies, du choléra aux coronavirus, publié en anglais en 2016, récemment traduit en français.

L’auteure y fait trois liens : entre les épidémies et l’écologie, entre les maladies infectieuses et les conditions de vie des populations, puis entre la transmission des pathogènes et les moyens de transport moderne. Sans surprise, ­Sonia ­Shah fait aussi référence au mouvement ­One ­Health, qui soutient que « la santé humaine est liée à la santé de la faune, du bétail et de l’écosystème ».

Moins coûteux

Soyons lucides : déployer à grande échelle l’approche d’« ­Une seule santé » entraînera des coûts importants, et ce, de la protection de l’environnement à l’abandon de mauvaises pratiques (détruire des forêts pour produire de l’huile de palme, par exemple) à la mise en place de meilleurs systèmes de surveillance des pathogènes émergents.

C’est sans parler d’une meilleure coordination entre les autorités locales, nationales et internationales, de même que d’un décloisonnement des disciplines en santé (humaine et animale), sur le terrain comme à l’université.

Pour autant, toutes ces mesures coûteront toujours beaucoup moins cher — et de loin, ­répétons-le — que les coûts humains, sanitaires et économiques que nous devons tous assumer dans le monde depuis le début de la pandémie de ­COVID-19.

Certes, un éventuel vaccin nous permettra de sortir de cette crise au courant de 2021, voire 2022. Ce serait toutefois une erreur collective que de rechercher uniquement notre salut dans un vaccin, tout en nous plaçant à la merci d’une autre pandémie dans un avenir pas si lointain.

Bref, ce serait une bien mauvaise gestion des risques.

Soyons plutôt collectivement un entrepreneur avisé : ­attaquons-nous à la cause du problème (notre mode de vie) au lieu de changer bêtement nos machines, tout en négligeant ce qui cloche en amont.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand