Uni-Sélect: l'art délicat de tirer sa révérence au bon moment

Publié le 28/02/2023 à 15:35

Uni-Sélect: l'art délicat de tirer sa révérence au bon moment

Publié le 28/02/2023 à 15:35

La rumeur veut qu’Uni-Sélect ait initialement approché LKQ pour lui céder sa filiale américaine de peinture automobile FinishMaster. (Photo: 123RF)

Le distributeur de pièces et de peintures automobiles de Boucherville Uni-Sélect (UNS, 46,80 $) a accepté l’offre inattendue de 48 $ par action de l’Américaine LKQ (LKW, 57,33 $ US) qui a sept fois sa taille.

Les réactions n’ont pas tardé de la part des analystes et même de la Caisse de dépôt et placement du Québec qui espéraient profiter encore longtemps de la relance de la société menée par son PDG Brian McManus, depuis son recrutement surprise en 2021.

«Le meilleur est à venir», écrivait Benoit Poirier de Desjardins Marché des capitaux, en juillet 2022, lors de la première acquisition du nouveau PDG d’Uni-Sélect.

Le rachat d’une entreprise québécoise soulève toujours beaucoup d’émotions et avec raison étant donné les dommages collatéraux potentiels dont la perte du centre décisionnel et les services professionnels qu’il achète.

 

Une décision pragmatique à l'image du PDG

Certains analystes estiment que l’offre de LKQ est «opportuniste» puisque Uni-Sélect peut encore améliorer sa performance opérationnelle et s’apprécier davantage en Bourse.

«S’il y a assez de résistance (de la part des actionnaires), LKQ va devoir bonifier son offre», fait valoir Stephen Takacsy, gestionnaire de Gestion d’actifs Lester. Il ne détient pas Uni-Sélect, mais le financier est un habitué des transactions.

Or, si c’était Uni-Sélect qui était opportuniste d’accepter l’offre de 2,8 milliards de dollars au moment où ses résultats reflètent le mieux les efforts de redressement des 18 derniers mois ?

La rumeur veut qu’Uni-Sélect ait initialement approché LKQ pour lui céder sa filiale américaine de peinture automobile FinishMaster. Les dirigeants de la société de Chicago auraient par la suite convaincu l’entreprise de Boucherville de vendre.

Les trois dernières années — ponctuées par la pandémie et la guerre en Ukraine qui ont perturbé la chaîne d’approvisionnement et ont exacerbé l’inflation et la pénurie de main-d’œuvre — ont démontré qu’on ne peut rien tenir pour acquis. Le spectre d’une éventuelle récession hante aussi les perspectives.

La Bourse n’a pas de cœur et les actionnaires visent avant tout un bon rendement sur le capital investi, malgré les dommages collatéraux lorsqu’un siège social ferme par exemple.

Tirer sa révérence au bon moment reste un art. En fonction du prix offert de 48 $, Uni-Sélect a quadruplé sa valeur depuis l’annonce de l’arrivée de Brian McManus au conseil du grossiste le 1er avril 2021.

Même s’il avait un cours cible de 51 $, Luke Hannan de Canaccord Genuity reconnaît qu’il aurait été plus ardu qu’avant pour Uni-Sélect de propulser ses marges à un autre niveau.

«Le duo Brian McManus et Anthony Pagano (chef de la direction financière) est très apprécié pour sa candeur et ses compétences auraient certainement pu améliorer davantage l’efficacité de l’organisation pendant des années à venir, mais les victoires faciles sont probablement derrière eux et gravir la montagne pour atteindre un nouveau palier de marge aurait pris du temps», dit-il en ajoutant que ses clients partagent ce point de vue.

En tenant compte du fait qu’Uni-Sélect a bénéficié de plusieurs vents de dos depuis 18 mois, incluant la reprise d’après-pandémie, le manque de voitures neuves et surtout l’effet de l’inflation sur les revenus, l’offre de LKQ, soit de 11 fois le bénéfice d’exploitation, lui semble «assez juste».

Pour sa part, Sabahat Khan, de RBC Marchés des capitaux, trouvait l’action d’Uni-Sélect justement évaluée avant l’offre de LKQ, tout en saluant les énormes accomplissements depuis 12 à 15 mois.

Même Benoit Poirier de Desjardins, qui se montre le plus déçu qu’Uni-Sélect soit acquise, estime que l’offre de LKQ (14,2 fois les bénéfices d’exploitation des 12 derniers mois) est juste en fonction des normes comptables IFRS 16, soit environ 15% de plus que le multiple moyen de 12,3 fois pour ses semblables.

Zachary Evershed, de la Financière Banque Nationale, indique que le prix offert est même «généreux» quand on tient compte du fait que LKQ devra revendre la filiale britannique GSF, Car Parts d’Uni-Sélect, sans doute à un multiple inférieur au sien.

 

Un parcours turbulent

Avant l’arrivée de Brian McManus, Uni-Sélect avait connu des années de turbulences dans un marché impitoyable dominé par les géants américains qui bénéficient de vastes économies d’échelle. En 2015, la société avait d’ailleurs vendu sa division américaine de pièces de rechange automobiles pour 340 millions de dollars américains à une filiale d’Icahn Enterprises, deux ans après une rationalisation et des mises à pied.

En septembre 2018, Uni-Sélect avait aussi embauché JPMorgan pour évaluer ses options stratégiques après le départ soudain du PDG de l’époque Henry Buckley qui avait piloté la stratégie de diversification avec l’achat britannique de The Parts Alliance devenue GSF, Car Parts.

En tant que grossiste, Uni-Sélect s’était aussi parfois retrouvée coincée entre les intérêts divergents des fournisseurs de peinture automobile et les carrossiers par exemple. En distribution, le pouvoir d’achat et les économies d’échelle sont essentiels. D’ailleurs, le quart des synergies annuelles de 55 M$ US prévues par LKQ d’ici trois ans provient du pouvoir d’achat accru en pièces et peinture automobiles.

 

Des occasions ratées pour Velan et Dorel ?

Parfois, il faut savoir reconnaître les occasions qui se présentent. Le spécialiste mondial de la robinetterie industrielle Velan (VLN, 12,74$) et le fabricant d’articles pour enfants Industries Dorel (DII. B, 4,70 $) sont deux autres cas probants.

La multinationale montréalaise Velan n’a pas su mettre en valeur son calibre au fil des ans et la famille éponyme vient d’accepter une offre modeste de 13 $ par action de la part de l’Américaine Flowserve (FLS, 34,08 $ US) alors que son action avait grimpé jusqu’à 21,80 $ en 2014.

Au tout début de 2021, les actionnaires minoritaires, dont le gestionnaire Letko Brosseau et Associés, avaient refusé l’offre de 14,50 $ de la famille Schwartz et du fonds Cerberus pour fermer le capital de Dorel. Une analyse des multiples transactionnels dans l’industrie lui accordait alors une valeur maximale de 56,38 $ par action.

Un an plus tard, Dorel a versé un dividende spécial de 12 $ US par action à ses actionnaires à la suite de la vente de son fabricant de vélos pour 810 M$ US. Le cours actuel de Dorel plus ce dividende totalisent 21 $, ce qui est bien en deçà de la valeur potentielle de 56,38 $ mise de l’avant, il y a trois ans, et encore plus loin du zénith de 89,50 $ de février 2005.

À postériori, ces observations ont l’air d’évidences, ce qui n’est jamais le cas. Chaque entreprise a son parcours et prend des décisions stratégiques au mieux de ses connaissances.

Espérons alors que l’acquéreur potentiel d’Uni-Sélect dise vrai en affirmant que les activités québécoises du distributeur ont une valeur stratégique pour l’avenir.

La circulaire de direction de la direction qui sera envoyée aux actionnaires d’Uni-Sélect avant le vote en révélera plus sur les coulisses de la transaction potentielle.

 

À propos de ce blogue

La Sentinelle de la Bourse se veut un blogue pour les investisseurs qui s¹intéressent aux rouages de la Bourse et aux marchés financiers. Son objectif : surveiller et débusquer des repères financiers pertinents pour prendre le pouls des Bourses et ainsi mieux aiguiller les décisions de placement de l¹investisseur.

Dominique Beauchamp
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