Le dangereux angle mort de la crise des approvisionnements

Publié le 14/05/2022 à 09:00

Le dangereux angle mort de la crise des approvisionnements

Publié le 14/05/2022 à 09:00

Selon le STIQ, 61% des répondants à l’étude affirment que leur marge a diminué, sans parler que la moitié d’entre eux indiquent refuser ou perdre des commandes en raison des problèmes à s’approvisionner en intrants. (Photo: 123RF)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. C’est connu, la crise des approvisionnements entraîne des retards de livraison ainsi que des coûts et des pertes supplémentaires pour les entreprises manufacturières. Ce qui l’est moins, c’est que la réduction de leur marge bénéficiaire en raison de la crise mine aussi leur croissance, leur compétitivité, voire leur pérennité à long terme.

Le STIQ (Sous-traitance industrielle Québec), une association multisectorielle qui aide à améliorer la compétitivité des entreprises manufacturières, a récemment publié la 13e édition de son Baromètre industriel québécois.

Plusieurs éléments ressortent de ce sondage réalisé de manière aléatoire auprès de 500 entreprises de taille différentes, actives dans divers secteurs et régions du Québec, dont l’un mérite une attention particulière étant donné son impact potentiel.

Il s’agit de la marge bénéficiaire des manufacturiers, c’est-à-dire l’oxygène pour alimenter leur croissance.

Ainsi, 61% des répondants à l’étude du STIQ affirment que leur marge a diminué, sans parler que la moitié d’entre eux indiquent refuser ou perdre des commandes en raison des problèmes à s’approvisionner en intrants.

Cette situation est préoccupante – même si le STIQ ne connaît pas l’ampleur de la baisse des profits des entreprises manufacturières québécoises.

 

Le nerf de la guerre: la marge, pas les revenus

Règle générale, perdre des revenus n’est jamais agréable. Pour autant, une organisation peut gérer un recul de ses ventes si elle réussit en même temps à maintenir sa marge bénéficiaire en diminuant ses coûts, par exemple.

Rappelons une évidence: ce sont les profits qui permettent de dépenser et d’investir, pas les revenus – car ils peuvent augmenter au détriment de l’effritement de la marge bénéficiaire.

Or, dans ce cas-ci, ce sont les marges bénéficiaires qui ont fondu, soit la capacité des entreprises d’investir davantage en formation, en achat d'équipements, en R&D et en technologies numériques, souligne à Les Affaires le PDG du STIQ, Richard Blanchet.

«Autrement dit, les problèmes d’approvisionnement hypothèquent la croissance de nos entreprises, pas seulement leur capacité de livrer à temps», affirme-t-il, en précisant qu’il ne veut pas être alarmiste, mais plutôt faire réaliser l’importance de cette problématique.

Car l’effritement de la marge bénéficiaire crée un cercle vicieux.

Moins de liquidités signifie moins d’argent pour acheter des équipements et de nouvelles technologies afin d'être plus efficace et compétitif.

Moins de liquidités signifie moins d’argent pour investir en R-D afin de développer de nouveaux produits.

Moins de liquidités signifie moins d’argent pour former davantage d’employés, qui sont de moins en moins qualifiés en raison de la pénurie de main-d’œuvre.

 

Des pistes de solution pour atténuer l’impact

Dans la crise actuelle des approvisionnements, les entreprises manufacturières peuvent déployer certaines stratégies afin de limiter l’impact négatif sur leur marge bénéficiaire, estime Richard Blanchet.

1.Réduire les coûts en optimisant tous les processus, et ce, de l’approvisionnement à la commercialisation en passant par la production.

2.Intégrer verticalement les opérations en faisant – si bien entendu la capacité financière le permet – l’acquisition d’un fournisseur ou en prenant une participation dans son capital afin de sécuriser davantage les approvisionnements et diminuer les coûts.

3.Refuser des contrats avec des clients si une entreprise n’a pas l’assurance de pouvoir disposer de tous les intrants nécessaires afin de les réaliser, ce qui limite les coûts inutiles, voire des pertes.

4.Prévoir des clauses contractuelles avec les clients – du moins, pour ceux qui l’acceptent – qui ne mentionnent pas de date précise de livraison pour un produit, ce qui élimine l’imposition de pénalités pour des retards.

5.Facturer aux clients – s’il n’y a pas de risque de les perdre aux profits de concurrents – toutes hausses importantes des coûts d’approvisionnement afin de protéger la marge bénéficiaire.

6.Stocker les intrants dont la probabilité de rupture est la plus grande dans la chaîne d’approvisionnement, surtout pour ceux qui sont critiques et stratégiques.

 

Certes, ces solutions ne constituent pas de recettes miracles. Certaines peuvent même générer des coûts supplémentaires, par exemple au niveau du stockage, si cela entraîne de nouveaux coûts de manutention.

Pour autant, le statu quo n’est pas non plus une option, car la crise des approvisionnements durera sans doute encore un certain temps, estiment les spécialistes en logistique.

Mieux vaut alors en limiter au maximum les impacts sur la marge bénéficiaire.

Et, de facto, sur la croissance et l’avenir de nombresues entreprises manufacturières du Québec.

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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