Électricité: le climat d'incertitude inquiète les industriels

Publié le 11/02/2023 à 09:00

Électricité: le climat d'incertitude inquiète les industriels

Publié le 11/02/2023 à 09:00

La perception de l’industrie et du gouvernement sur le climat d’affaires au Québec diverge diamétralement. (Photo: 123RF)

ANALYSE ÉCONOMIQUE. «Politisation» des arbitrages, imprévisibilité des prix, disponibilité incertaine de blocs d’électricité… Le nouvel environnement d’affaires au Québec crée un climat d’incertitude qui pourrait retarder des projets industriels dans la province, s’inquiète l’Association québécoise des consommateurs industriels d’électricité (AQCIE).

C’est ce qu’assure son président Jocelyn B. Allard, en entrevue à Les Affaires à propos des arbitrages que devra faire le gouvernement de François Legault pour attribuer les futurs blocs d’électricité.

La mission de l’AQCIE consiste à défendre les intérêts des industriels québécois qui sont assujettis aux tarifs L (grande puissance) et M (moyenne puissance) d’Hydro-Québec. L’association compte 34 membres dans les secteurs de l’agroalimentaire, de l’aluminium, de la sidérurgie, des mines, de l’énergie, des pâtes et papiers et de la chimie.

On y retrouve des noms connus comme Cascades, Air Liquide Canada, Saputo Produits laitiers, Aluminerie Alouette ou Rio Tinto Fer et Titane.

Joint par Les Affaires, le cabinet du ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, a préféré ne pas commenter l’affirmation de l’AQCIE selon laquelle des industriels «retardent» des projets en raison «du climat d’incertitude» au Québec.

Trois grands facteurs sont à l’origine de ce nouveau «climat d’incertitude», selon l’AQCIE.

 

1. La politisation des arbitrages

Actuellement, le gouvernement du Québec doit approuver les projets d’attribution de blocs d’électricité quand ils sont supérieurs à 50 mégawatts (MW).

Or, le projet de loi 2 (Loi visant notamment à plafonner le taux d’indexation des prix des tarifs domestiques de distribution d’Hydro-Québec et à accroître l’encadrement de l’obligation de distribuer de l’électricité) veut descendre cette limite à 5 MW.

Par conséquent, Québec aura comme jamais un droit de vie ou de mort sur des projets industriels.

«C’est le gouvernement qui va décider et non pas le marché», déplore Jocelyn Allard.

Règle générale, les entreprises privées sont plus habilitées que les gouvernements à identifier les secteurs d'avenir, selon la littérature économique.

 

2. L’imprévisibilité des prix

L’autre facteur qui crée beaucoup d’incertitude est le manque de prévisibilité des prix.

L’AQCIE déplore que les petites et les grandes entreprises du Québec doivent absorber «des augmentations records de l’ordre de 4,2 à 6,4% sur leur facture d’électricité à compter du 1er avril 2023».

Jocelyn Allard affirme que cette hausse de tarifs va à l’encontre «de la promesse» du gouvernement de limiter la hausse des tarifs à 3% pour l’ensemble des clients d’Hydro-Québec ainsi qu’à 2% pour ceux au tarif L.

À la fin de la session parlementaire en juin 2022, Québec a déposé le projet de loi 43 (Loi visant notamment à plafonner le taux d’indexation des prix des tarifs de distribution d’électricité).

Selon l’AQCIE, l’effet de ce projet de loi 43 a été «de rassurer les consommateurs d’électricité du Québec, de toutes les classes de clients, que les tarifs du monopole Hydro-Québec ne seraient pas augmentés au-delà de ce qu’ils seraient si l’inflation devait être de plus de 3%».

À la lecture du projet de loi 2, Jocelyn Allard affirme que ses membres ont eu la «mauvaise surprise» de constater que cet engagement ne tenait plus.

«Or, des industriels ont fait des budgets sur la base d’une hausse maximale de 3% de leur coût énergétique», souligne-t-il.

Il rappelle que l’énergie peut représenter des coûts de 20 à 30% pour l’ensemble des membres de l’AQCEI. En revanche, dans certains secteurs, cette proportion peut être supérieure à 60%, par exemple pour la fabrication de chlore.

À propos de l’imprévisibilité des prix, le cabinet du ministre Pierre Fitzgibbon souligne que les tarifs industriels «fluctuent en fonction du prix de productions et de distribution comme dans toutes les juridictions».

Le cabinet rappelle aussi par courriel que les tarifs énergétiques du Québec «demeurent dans les plus compétitifs en Amérique du Nord».

 

3. La disponibilité de l’électricité

La disponibilité future de blocs d’électricité est aussi une grande source d’inquiétude dans l’industrie, souligne Jocelyn Allard.

Actuellement, il y a un «engouement sans précédent» pour l’électricité verte du Québec au sein des secteurs émergents, souligne Hydro-Québec dans son mémoire présenté dans le cadre des audiences sur le projet de loi 2.

Selon la société d’État, les projets sur la table totalisent 23 000 mégawatts, soit l’équivalent de construire 13 barrages comme celui de la rivière Romaine, sur la Côte-Nord:

• Plus de 80 projets de plus de 50 MW (environ 20 000 MW)

• Plus de 150 projets de 5 à 50 MW (environ 3 000 MW)

 

Chose certaine, Hydro-Québec ne pourra pas répondre à toutes ces demandes, souligne Jocelyn Allard, comme l’affirment aussi la plupart des spécialistes sur cette question.

Le gouvernement devra donc faire des arbitrages, c’est-à-dire choisir les projets en fonction des intérêts du Québec.

Le cabinet de Pierre Fitzgibbon a affirmé au journal Les Affaires que «le MEIE choisira les projets basés sur une adéquation entre la réduction de GES et la création de richesse collective.»

Par exemple, le ministre a déjà indiqué qu’une partie seulement des projets d’hydrogène pourrait voir le jour.

Le président de l’AQCEI estime qu’il y a un certain flou en ce qui a trait aux critères de sélection des projets.

La perception de l’industrie et du gouvernement sur le climat d’affaires au Québec diverge diamétralement.

L’AQCIE exagère-t-elle la situation?

Le gouvernement minimise-t-il l’incertitude qui gagne l’industrie?

Chose certaine, une meilleure communication s’impose entre les deux parties.

Car il en va après tout de l’attractivité et de la prospérité du Québec.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse bimensuelle Dans la mire, François Normand traite des enjeux auxquels font face les entrepreneurs aux quatre coins du Canada, et ce, de la productivité à la pénurie de la main-d’œuvre en passant par la 4e révolution industrielle ainsi que la gestion de l’énergie et des ressources naturelles. Journaliste à «Les Affaires» depuis 2000 (il était au «Devoir» auparavant), François est spécialisé en ressources naturelles, en énergie, en commerce international et dans le manufacturier 4.0. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières, et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke.

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