Les mésaventures d'un aîné avec l'épicerie en ligne

Publié le 08/04/2020 à 08:36

Les mésaventures d'un aîné avec l'épicerie en ligne

Publié le 08/04/2020 à 08:36

Un concept d'épicerie en ligne.

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Quand on a 78 ans et qu’on est confiné à la maison à cause d’un foutu virus, les activités du quotidien deviennent parfois plus complexes à accomplir. On peut certes appeler à la pharmacie ou procéder en ligne pour se faire livrer ses médicaments. Pour ce qui est de l’épicerie, le processus de commande web, ou plutôt certains éléments du processus, laissent parfois à désirer. C’est à se demander si on a pensé aux clients plus âgés. Explications.

À la recommandation du premier ministre, j’ai appelé récemment un aîné pour m’enquérir de son bien-être. On me répond que «ça va bien». Cela dit, la personne à qui je parle m’informe qu’elle a tenté de passer sa commande d’épicerie en ligne, mais sans succès. Je lui ai offert mon aide — à distance — pour m’assurer que le garde-manger demeure bien garni.

Après 50 minutes d’accompagnement, force est de constater que certaines sections du site web — notamment le paiement — n’ont pas été conçues pour un aîné, ni pour personne d’autre d’ailleurs. Précisons que la personne assistée n’en était pas à ses premiers achats en ligne.

Pour plusieurs personnes âgées, passer une commande en ligne n’est pas nécessairement naturel. Cela dit, je me souviens d’une époque pas si lointaine où ma mère passait sa commande d’épicerie au téléphone pour se la faire livrer à la maison. C’était aussi l’époque du laitier et du boulanger qui passaient de maison en maison, sans compter les vendeurs de vêtements et autres produits.

Revenons au site web de l’épicerie. Quand je vois des mots comme «Ouvrir une session» ou «Identifiant», je soupire en me demandant où étaient les gens de UX (User Experience ou Expérience utilisateur en français). «Identifiant», vraiment? Ne manque que le bouton «Soumettre» et on revient en 1999.

La suite n’est guère mieux. Par exemple, les pages permettant la création d’un compte — obligatoire il va sans dire — sont passées du français à l’anglais sans crier gare. What, euh… quoi?

Puis vient le moment d’inscrire les données de paiement. Ce n’est pas chic. Il y a des fautes de français. On y lit notamment «Adresse De Fracturation» — ça fait mal! — deux fois plutôt qu’une. Certaines étiquettes sont en anglais, comme «Land» au lieu de «Pays». En passant, pourquoi a-t-on besoin de demander le pays d’un détenteur de carte de crédit pour passer une commande d’épicerie? Livrez-vous à North Platte? (vous gagnez 10 points si vous savez où est située cette bourgade des États-Unis, et 10 points supplémentaires si vous y êtes déjà allés)

À proximité des données de carte de crédit, il y a un bouton «Ajouter» — ajouter quoi déjà? —, puis un lien «Annuler» et un bouton «VISA Checkout» qui affiche des questions présumant que l’utilisateur est Français (à cause du choix de langue), et non un francophone vivant au Québec (soupirs).

Soulignons que pendant tout le processus d’accompagnement, je n’étais pas devant un écran, mais seulement au téléphone. Guider à distance un utilisateur dans un site web — sans voir l’écran — est un exercice intéressant et instructif, c’est le moins qu’on puisse dire.

Au fil de la conversation, l’aîné ne comprenait pas qu’il lui fallait cliquer à plus d’une reprise sur le bouton «Passer à la caisse» — présent sur plusieurs pages — pour finir par passer sa commande. Moi non plus je n’aurais pas compris. Il avait l’impression de tourner en rond. Je ne me souviens plus comment on a bien pu passer au travers du processus, mais nous y sommes arrivés!

Bref, cet accompagnement et l’audit sommaire que j’ai réalisés a posteriori du site web en question démontrent l’importance de tester une solution auprès de tous les types de clients, les jeunes technophiles et ceux qui sont nés à l’époque de la radio à lampes.

Don Norman, professeur émérite et auteur reconnu a déjà parlé du design pour les aînés. John Maeda l’a aussi évoqué récemment lors de sa revue annuelle Design in Tech Report. Microsoft a aussi publié une méthodologie de design inclusive. Est-ce que vieillir est un handicap me direz-vous? Non, mais cela vient inévitablement avec des limitations qui peuvent s’y apparenter.

La crise actuelle fait en sorte que nos personnes âgées — nos parents ou nos grands-parents — sont limitées dans leurs déplacements, voire confinées. Si les solutions numériques mises en place pour des besoins essentiels sont mal conçues, on risque de pénaliser une partie importante de la population.

Selon le Bilan démographique du Québec publié par l’Institut de la statistique du Québec, «la population âgée de 65 ans et plus passerait de 1,5 million en 2016 à plus de 2,7 millions en 2066. La part des aînés dans la population totale progresserait ainsi de 18% en 2016 à 25% dès 2031, et atteindrait 28% en 2066.» Ce n’est pas rien!

Il faut tester les solutions numériques avec des personnes âgées, pas seulement avec des jeunes qui sont nés avec un téléphone intelligent dans la main. Il faut éprouver les sites web dans de vrais contextes, avec des écrans d’ordinateur bon marché, pas Retina ou 4K, avec du vrai monde, de toutes les générations, les jeunes, les adultes et les aînés.

C’est à ce moment qu’on pourra parler enfin de design inclusif et de design empathique.

Note : Je comprends que les équipes web et informatiques des différents fournisseurs font de leur mieux pour faire face à la situation actuelle. Cela dit, il est important que les fonctionnalités de base comme la création d’un compte et le paiement soient les plus fluides possible. C’est une simple question de bonne expérience client.

 

À propos de ce blogue

De kessé l’expérience client se veut un blogue pour les dirigeants, responsables de l’expérience client, et toute personne qui est en contact direct, ou indirect avec la clientèle. Le but? Démystifier l’expérience client sous tous ses angles. Daniel Lafrenière est stratège en expérience client omnicanale. Oeuvrant depuis plus de 30 ans, il a aussi donné des conférences au Canada, aux États-Unis et en Europe. Il est l’auteur de 10 ouvrages en expérience client, expérience employé et transformation numérique.

Daniel Lafrenière