Les agents conversationnels: simple mode ou réelle panacée

Publié le 30/09/2021 à 07:30

Les agents conversationnels: simple mode ou réelle panacée

Publié le 30/09/2021 à 07:30

Une personne clavarde sur son téléphone cellulaire

Discussion avec Sandrine Prom Tep, co-auteure d'une étude sur les agents conversationnels. (Photo: Priscilla du Preez pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Sandrine Prom Tep est professeure agrégée au département de marketing de l’École des sciences de la gestion de l’UQAM. Elle est la co-auteure d’une étude sur les agents conversationnels (chat bot) qui sera publiée sous peu dans le périodique Psychology & Marketing

Elle m’a récemment accordé une entrevue pendant laquelle nous avons discuté des agents conversationnels et de leur impact sur l’expérience client.

 

Daniel Lafrenière (D.L.): Je me souviens des premières implantations d’agents conversationnels. Au début, il s’agissait plutôt d’une mode. Les entreprises en avaient un ou voulaient en avoir un. Certaines implantations étaient plus ou moins réussies. Après en avoir expérimenté un certain nombre, je dois avouer que je n’ai pas été impressionné. La plupart du temps, l’agent conversationnel ne reconnaissait pas mes questions, ce qui me forçait à les reformuler, souvent sans succès. Bref, c’était une perte de temps. Est-ce que les agents conversationnels sont réellement utiles?

Sandrine Prom Tep (S.P.T.): Cela dépend du point de vue. Il existe différents types d’agents conversationnels. Certains, plus avancés du point de vue de l’intelligence artificielle, sont véritablement conversationnels. On pense à GPT-3 qui offre des conversations incroyables, on dirait Her dans le film éponyme.

Il y a d’un autre côté des agents conversationnels qui sont simplement des bases de données, des systèmes de réponses hiérarchiques. Le client ne fait que sélectionner parmi des choix de questions et en fonction de certains critères, l’agent conversationnel suggère des réponses. Il n’y a pas de réelle conversation. Tout est prévu. Le client parcourt un arbre décisionnel menant à une réponse.

 

D.L.: Cela me fait penser aux moteurs d’inférence au début de l’intelligence artificielle. Le système posait une question à laquelle l’utilisateur répondait. Il s’agissait d’une arborescence prédéfinie où il était impossible pour l’humain de sortir des scénarios prévus.

S.P.T.: Probablement que ce deuxième type d’agent conversationnel provient des systèmes experts, des systèmes à bases de données où le système effectue des inférences. En fonction d’un certain nombre de critères, on déduit que la réponse se trouve parmi un ensemble prédéfini de réponses. Ces agents conversationnels ont une portée limitée. Cela dit, lorsque les questions sont précises, par exemple «Quelles sont les heures d’ouverture?», «Avez-vous une politique de retour de marchandise?», ces agents conversationnels peuvent être utiles. La question est précise et la réponse se trouve facilement. Cela dit, ce type d’agent a tendance à faillir lorsque la question est complexe ou lorsque le client ne parvient pas à la formuler simplement. Du coup, on passe à travers des étapes sans parvenir à une réponse, ce qui cause de la frustration.

Bien entendu, si le client obtient rapidement sa réponse sans avoir à patienter plusieurs minutes au téléphone, il y a un avantage, même si la plupart du temps la réponse se trouve sur le site web du marchand ou de l’entreprise. À qui cela peut-il servir? Probablement aux clients plus novices, qui sont moins à l’aise de rechercher l’information sur le web, ou à d’autres, plus paresseux, qui savent qu’ils trouveront facilement réponse à leur question en s’adressant à un agent conversationnel.

 

D.L.: Ce qui signifie donc que les agents conversationnels sont utiles pour des domaines simples, des questions simples, et c’est là leur grand avantage. Alors que les cas complexes seront relayés rapidement à un être humain.

S.P.T.: Absolument, c’est l’objectif. Si une entreprise parvient à traiter 80% des questions les plus courantes, il y a une économie du temps d’attente et du volume d’appels sur le canal téléphonique. Il peut y avoir un grand bénéfice pour les entreprises et pour le client qui obtient réponse à sa question rapidement.

 

D.L.: Quelles sont les qualités d’un bon agent conversationnel?

S.P.T.: Ce sont sensiblement les mêmes qualités d’un bon site web. On veut qu’il soit efficace, clair, rapide, avec ce petit côté «dialogue» qui assure une prise en charge du client qui se sent guidé, accompagné.

 

D.L.: Est-ce que les clients apprécient l’aspect humain de la conversation ou au contraire, cela les apeure? Savent-ils qu’ils conversent avec une machine?

S.P.T.: C’est une excellente question. On est encore en découverte, en exploration sur ce domaine d’un point de vue de la recherche scientifique. Mais il existe clairement deux réalités. D’un côté, on cherche avec l’intelligence artificielle à ressembler le plus possible à l’humain. D’un autre, on se rend compte avec les études que le client souhaite une conversion au niveau de l’intelligence sans le côté humain. Je m’explique.

Le client s’attend à une conversation claire et fluide. Il pose une question et obtient une réponse qui a du sens. Par contre, si l’agent conversationnel est trop amical, s’il détient trop de renseignements à son sujet, s’il anticipe des éléments de réponse ou de question, cela provoque un malaise. Le client n’apprécie pas ce qu’il perçoit comme une intrusion dans sa vie privée. Il craint de perdre le contrôle. Il s’interroge, voire s’inquiète sur ce que l’agent conversationnel sait sur lui. Cela peut être épeurant.

 

D.L.: Cela me semble paradoxal. Marc Gobé, dans son livre Emotional Branding, écrit que les consommateurs s’attendent à ce que les entreprises les connaissent intimement pour bâtir une réelle relation. Certes, les gens sont préoccupés par la protection de leurs renseignements personnels, mais d’un autre côté, ils étalent au grand jour leur vie privée sur les médias sociaux.

S.P.T.: Lorsqu’un client publie des informations personnelles sur les médias sociaux, il a le sentiment de contrôler le message, de montrer ce qu’il veut. Cela dit, un malaise survient lorsqu’il ne contrôle pas l’utilisation de ses propres données par un tiers.

Le client veut une expérience à la fois hyper personnalisée, hyper efficace, hyper formidable sans qu’un fournisseur utilise des renseignements privés à son insu. C’est ce qu’on appelle le paradoxe de l’intimité (privacy paradox https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0167404818303031).

 

D.L.: Prenons l’exemple d’une demande de soumission pour une assurance de biens. Quelle est la différence entre répondre aux questions d’un agent au téléphone, remplir un formulaire web qui pose les mêmes questions et répondre à celles d’un agent conversationnel?

S.P.T.: Il n’y a pas encore de réponse claire à ce sujet. La réalité est que les clients sont sensibles au type de canal (téléphone, web, agent conversationnel). Pour faire une analogie, pourquoi une personne préfère-t-elle lire certains livres sur une liseuse et d’autres sur papier? Cela peut dépendre du contexte. Est-ce une lecture pour le travail ou pour la détente?

Le client n’apprécie pas le même service, malgré le fait que nous soyons à l’ère de l’omnicanal, à travers tous les canaux. Le client attend de l’omnicanal de pouvoir utiliser le canal qu’il veut quand il le veut, que l’information qu’il a fournie soit toujours conservée et qu’il n’ait pas à se répéter. Il veut passer d’un canal à l’autre quand ça l’arrange. Quand il est en déplacement, il veut utiliser son téléphone intelligent. Quand il est au bureau, il veut utiliser son ordinateur. Quand il est sur le divan, il veut utiliser sa tablette.

 

D.L.: Pour conclure, quel est l’avenir des agents conversationnels?

S.P.T.: L’avenir est immense. Ça ne fait que commencer. Si l’on fait une comparaison avec l’évolution des interfaces utilisateurs, nous sommes passés des interfaces à commandes texte (DOS, terminaux), aux interfaces graphiques (Windows, MacOS), aux interfaces tactiles (iOS, iPadOS, Andoid) pour en arriver aux interfaces vocales. Et c’est grâce à l’intelligence artificielle que cette révolution se produira.

 

À propos de ce blogue

De kessé l’expérience client se veut un blogue pour les dirigeants, responsables de l’expérience client, et toute personne qui est en contact direct, ou indirect avec la clientèle. Le but? Démystifier l’expérience client sous tous ses angles. Daniel Lafrenière est stratège en expérience client omnicanale. Oeuvrant depuis plus de 30 ans, il a aussi donné des conférences au Canada, aux États-Unis et en Europe. Il est l’auteur de 10 ouvrages en expérience client, expérience employé et transformation numérique.

Daniel Lafrenière