Quand du seigle permet de combattre la COVID-19

Publié le 08/09/2020 à 15:00

Quand du seigle permet de combattre la COVID-19

Publié le 08/09/2020 à 15:00

gel désinfectant

La petite histoire du gel désinfectant produit par la Distillerie La Chaufferie de Granby témoigne des nets avantages de faire preuve d’agilité. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. On le sait, la production d’alcool au Québec est en forte hausse. Vins, cidres, alcools de petits fruits, microbrasseries et autres spiritueux ont le vent dans les voiles depuis plusieurs années. La pandémie aidant, on a même vu éclore un nouveau pan de cette industrie québécoise: la fabrication d’alcool désinfectant. Laissons quelque temps la consommation d’alcool en temps de crise de côté… Qu’en est-il de cette nouvelle industrie et que nous révèle-t-elle sur la puissance de l’économie circulaire dans le secteur agroalimentaire?

Rendons-nous d’abord à l’évidence. Une proportion importante des alcools dits «québécois» sont effectivement distillés au Québec, mais ils résultent d’une combinaison d’alcools neutres (la « soupe ») achetés à l’extérieur de la province, et ensuite mélangés localement avec des épices ou des fruits. Pourquoi? Dans plusieurs secteurs, les coûts de production de l’alcool neutre baissent considérablement avec le volume. Difficile de se lancer là-dedans quand on vise une production artisanale et qu’il faut rentabiliser une jeune entreprise.

C’est donc parfois en Ontario et souvent aux États-Unis que s’approvisionnent nos distilleurs. Ne leur jetons pas la pierre, bien au contraire! On ne peut que se féliciter de l’émergence de ce secteur d’activité qui créée de l’emploi, qui utilise quand même des intrants agroalimentaires locaux et qui saura sans nul doute évoluer pour combler l’ensemble des besoins locaux.

 

La saga du désinfectant: quoi de mieux que le local?

Les spiritueux qui peuvent se vanter d’avoir un procédé de production entièrement québécois existent néanmoins. C’est le cas de la Distillerie La Chaufferie de Granby. Comme d’autres entreprises, elle a fait le choix courageux de posséder ses propres alambics et de fermenter son alcool de base pour produire de la vodka et du gin.

Devant la propagation de la COVID-19, des pénuries de matériel spécialisé ont pris de court le Québec. L’ambiance était un peu moins à la fête et un peu plus à la désinfection! Comme plusieurs économies, nous avons réalisé que nous étions dépendants vis-à-vis de l’approvisionnement international en produits essentiels.

C’est le cas pour le gel désinfectant, qui, comme l’alcool de consommation orale, est produit à base d’alcool neutre.

Chaque pays ayant fermé ses frontières, limité ses échanges et décidé de garder ses ressources pour répondre à propres besoins, tous ont réalisé que la mondialisation comportait son lot de défis en période de crise. Quoi de mieux pour se réinventer. C’est là que l’économie circulaire gagne en popularité.

Il était temps!

La petite histoire du gel désinfectant produit par la Distillerie La Chaufferie de Granby témoigne des nets avantages de faire preuve d’agilité.

 

Un alcool désinfectant local, c’est rentable!

La région de Granby a été touchée par l’éclosion du virus très tôt. Dès le 23 mars, la Distillerie de la Chaufferie a décidé d’utiliser son intrant principal, le seigle, pour répondre aux besoins du milieu en alcool désinfectant. Garderies, entreprises de l’agroalimentaire, personnes privées devaient soudain se plier à bien des ajustements sanitaires pour continuer leurs opérations et leur vie « presque normale ».

Il a donc fallu faire preuve d’ouverture et d’agilité afin de permettre aux services essentiels de poursuivre leurs opérations.

Cela n’était pas une mince affaire: l’ajustement du procédé représentait des défis techniques et de productivité. À La Chaufferie, on s’est d’ailleurs vite aperçu que la céréale de seigle n’est pas le meilleur intrant pour produire de l’alcool désinfectant rapidement et sans pertes.

Ugo Forcier, animateur de la Symbiose agroalimentaire Montérégie, explique comment s’est passé le maillage : «Avec Johanne Tanguay, directrice de TransformAction, nous avons lancé un appel à tous le 25 mars pour trouver des matières sucrées adaptées à cette fermentation. La réponse a été incroyable. En quelques jours, nous avons reçu plus de 50 offres de matières: mélasses, sirops, légumes, lactosérum, fruits.»

C’est la mélasse de Gestion P.A.S., en provenance de Barnston en Estrie, qui a permis de combler le besoin. Issue de la transformation de betteraves à sucre et localisée à proximité de Granby, elle a permis d’optimiser la production de l’alcool neutre avec de multiples bénéfices. Facile à fermenter, générant moins de déchets, venant de moins loin que le seigle et moins coûteuse, la mélasse a offert un gain de productivité de 30% à la distillerie.

Ces actions ont procuré des gains réels, dans un contexte où 17 000 litres de mélasse génèrent 9 350 litres de désinfectant :

  • 24 tonnes de seigle ont été économisées
  • 6,9 tonnes équivalentes de CO2 d’émissions de gaz à effet de serre ont été évitées
  • 7 500 $ d’économies ont été réalisées

Ces actions ont aussi permis un gain en supracyclage. Habituellement utilisée pour l’alimentation animale, la mélasse a plutôt contribué ici à produire un bien à plus grande valeur ajoutée.

Et on parle ici d’une seule distillerie parmi toutes celles qui ont rejoint un mouvement similaire dans la province, venant grossir les rangs de ce secteur de production novateur.

Bref, en mettant en commun la connaissance fine du portrait socio-économique des territoires, en maillant les entreprises avec des experts, en optimisant les procédés et la collaboration, on crée de nouvelles chaînes de valeur locales et indépendantes, des emplois et des communautés vivantes.

C’est là toute la beauté de l’économie circulaire en action!

À propos de ce blogue

L’économie circulaire est un concept séduisant, mais souvent un peu ésotérique pour les entrepreneurs. Claude Maheux-Picard, directrice du Centre de transfert technologique en écologie industrielle, est à la tête d’une équipe d’experts en la matière qui accompagnent les entreprises en développant des débouchés innovants et rentables aux matières résiduelles. Ingénieure de formation et adepte de collaboration ouverte, elle démontre comment l’économie circulaire contribue au succès des entrepreneurs et au développement des communautés. Autrement dit: c’est bon pour l’économie, c’est bon pour l’environnement, et c’est bon pour les gens!

Claude Maheux-Picard
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