Le juste salaire

Publié le 01/03/2009 à 00:00

Le juste salaire

Publié le 01/03/2009 à 00:00

Le 4 février dernier, le président Obama a déclaré la guerre à Wall Street. Le président des États-Unis s'attaque à la culture des gros salaires et des primes de départ astronomiques. "Nous dégonflons les parachutes dorés." Premier geste : limiter à 500 000 dollars le salaire des dirigeants des institutions financières qui bénéficient le plus du plan de sauvetage de Washington. Pour l'instant, il n'est question que de Bank of America, de Citigroup et du American International Group, et la mesure n'est pas rétroactive.

C'est peu, certes. Mais le message est clair : la rémunération des PDG est sous surveillance. Et pas seulement chez nos voisins du sud. Au Canada aussi, le dossier commence à être explosif. En février, la Banque Royale et la CIBC ont annoncé qu'elles diminuaient le salaire de leur PDG.

"Les faillites de banques américaines et les sauvetages d'entreprises qui ont lieu ces temps-ci ouvrent les yeux à bien des gens", dit Normand Lebeau, président de la firme de recrutement Mandrake. La débâcle financière remettra à l'ordre du jour l'épineuse question de la paie des dirigeants, dit-il. Toutefois, le recruteur de 45 ans est catégorique : le marché demeure le meilleur juge de la valeur d'un PDG. "Un patron n'est jamais trop payé. C'est le marché qui décide. Toutefois, cette logique doit s'appliquer dans les deux sens, ajoute-t-il. Si le PDG fait de l'argent quand l'entreprise n'en fait pas, il est trop payé."

À qui la faute ? En partie aux conseils d'administration. "Des entreprises viennent me voir et disent : "Nous cherchons un PDG. Nous voulons attirer monsieur X et nous sommes prêts à dérouler le tapis rouge"", poursuit Normand Lebeau. Résultat : le candidat multiplie les demandes - rémunération fixe, primes, fonds de pension, etc. Tout cela sans égard à la performance de l'organisation. "Et le conseil d'administration accepte !"

Comment briser ce cercle vicieux ? Au Royaume-Uni, des actionnaires espèrent avoir trouvé la solution : ils forcent les entreprises à obtenir leur approbation avant de décider de la rémunération du PDG. En 2003, lors de l'assemblée annuelle, les actionnaires du géant pharmaceutique GlaxoSmithKline ont refusé à 50,7 % la proposition de rémunération du PDG. En conséquence, la firme anglaise a dû revoir son régime de rémunération. Depuis, la plupart des indemnités de départ accordées aux PDG au Royaume-Uni se limitent au niveau en vigueur chez GlaxoSmithKline, selon une analyse de la firme de consultants en management Groupe Hay. Appelée "Say on Pay", cette pratique gagne aussi en popularité de ce côté-ci de l'Atlantique. En mai 2008, l'assureur américain Aflac est devenu la première entreprise publique en Amérique du Nord à tenir un vote sur la paie de son PDG. Les actionnaires ont approuvé à 93 % celle de Dan Amos, PDG en poste depuis 18 ans : celui-ci touche un sa1aire de 1,2 million de dollars, assorti de primes de 2,8 millions. Depuis deux ans, des actionnaires de plus de 100 entreprises américaines, dont Coca-Cola, GM, IBM, Exxon Mobil et Wal-Mart, proposent de tenir un tel vote. Seul bémol dans ces cas : les votes seraient consultatifs ; ils permettraient donc aux actionnaires d'approuver ou non le salaire d'un dirigeant, mais n'auraient aucun effet légal sur celui-ci.

C'est que les entreprises rechignent à l'idée de confier une telle responsabilité aux actionnaires. Certaines font valoir que le "Say on Pay" nuit au conseil dans sa quête pour attirer et conserver le talent. Surtout, on doute que l'actionnaire moyen soit suffisamment informé pour exprimer une opinion éclairée sur la question. "On peut se scandaliser de ces montants", dit Jérôme Côté, consultant pour le Groupe Hay, que Commerce a joint à son bureau de la rue Mansfield, à Montréal. "Il faut cependant comprendre pourquoi on les accorde. Le commun des mortels a du mal à s'y retrouver. Et les circulaires des entreprises présentent cette information de façon très technique." Dans la sienne, IBM justifie son refus d'instaurer un tel vote en expliquant qu'un actionnaire ne peut savoir quelle compensation est appropriée, notamment parce qu'il ne sait rien des offres que reçoivent d'autres PDG.

Fait étonnant, les actionnaires eux-mêmes semblent peu enclins à vouloir exercer cette responsabilité. Dans les cinq grandes banques canadiennes, 40 % des résolutions des actionnaires proposées en 2008 portaient sur l'adoption d'un vote consultatif sur le salaire des dirigeants. Toutefois, en moyenne, seulement 5 % des actionnaires se disent prêts à soumettre la rémunération à un vote obligatoire, selon les chiffres du Groupe Hay. Les résultats obtenus restent le meilleur argument contre le "Say on Pay". Plusieurs études montrent que, pendant les années où l'on pratiquait le "Say on Pay", le salaire des PDG a continué de grimper de 5 à 11 % par an.

Comment savoir alors si un PDG est trop grassement payé ? Un des moyens consiste à comparer son salaire à ceux des PDG d'un groupe d'entreprises du même secteur. "Beaucoup d'entreprises québécoises, notamment SNC-Lavalin, fonctionnent maintenant de cette façon", dit Michel Magnan, professeur et titulaire de la Chaire de comptabilité Lawrence-Bloomberg de l'École de gestion John-Molson de l'Université Concordia. Cette méthode donne-t-elle de bons résultats ? Tout dépend de la composition du groupe de référence, précise-t-il. "Le problème, avec cette méthode, c'est que certaines entreprises choisissent un groupe pour comparer le salaire et un autre groupe pour comparer la valeur des options ou des primes", dit-il. En bref, les dirigeants ont tendance à choisir des entreprises qui paient bien leurs dirigeants. Et quand vient le moment de choisir les entreprises qui formeront le groupe de référence, des conflits éclatent inévitablement entre le PDG et les administrateurs. L'an dernier, Robert Womack, président du comité de rémunération du producteur américain d'acier Commercial Metals, a dû se montrer ferme face aux dirigeants de l'entreprise. Sur les conseils d'un consultant, les dirigeants voulaient inclure Alcoa, une entreprise plus importante que Commercial Metals, dont les dirigeants sont mieux payés, dans le groupe de référence. Le conseil a refusé. Résultat : la moitié des cadres supérieurs, qui auraient profité d'une augmentation si Alcoa avait fait partie du groupe, n'ont rien obtenu à la fin de l'année...

Cibler le long terme

Les régimes de rémunération de l'avenir sont ceux qui réussiront à payer les PDG en fonction de leurs performances à long terme, croit Jérôme Côté. Des entreprises s'y mettent déjà. "Certaines firmes évaluent un candidat sur une période de trois ans. Si vous recevez une prime annuelle de 100 000 dollars, par exemple, on vous donnera une partie de ce montant seulement dans deux ou trois ans, à condition que l'entreprise atteigne certaines cibles. L'idée, c'est de faire en sorte qu'un PDG ne puisse se cacher derrière une bonne année", dit-il. La banque suisse UBS utilise cette méthode pour récompenser ses cadres supérieurs. À partir de 2009, ces derniers recevront le tiers de leur gratification en argent liquide. UBS dépose le solde dans un compte qui fluctue selon la performance de l'année suivante. Même chose pour les options d'achat d'actions : elles sont versées trois ans plus tard, à condition que des cibles prédéterminées aient été atteintes. D'ailleurs, leur valeur fluctue selon la performance de l'entreprise. Cette méthode n'est toutefois pas parfaite. Le conseil d'administration, de peur de perdre un gestionnaire-vedette, prend parfois d'une main pour redonner de l'autre. Dans la circulaire du fabricant d'ordinateurs Hewlett Packard - qui adhère à ce procédé d'évaluation sur trois ans -, on écrit que l'entreprise se réserve le droit d'offrir des actions "sur une base individuelle", sans condition liée à la performance.

Si les conseils se réservent des portes de sortie, c'est par crainte de perdre leurs gestionnaires étoiles. La guerre au talent, maintenant internationale, oblige en effet les entreprises à surenchérir pour attirer les PDG. La Chine recrute des gestionnaires de talent partout dans le monde, tandis que les Japonais, qui achètent de plus en plus d'entreprises étrangères, cherchent à attirer des PDG européens et américains. En Europe, le salaire des PDG grimpe depuis 10 ans, résultat de la course internationale au talent. Pire, la récession actuelle pourrait favoriser une hausse des salaires, souligne Jean-Claude Lauzon, associé directeur du bureau montréalais de la firme de recrutement Korn/Ferry International. "Le talent est encore plus recherché dans une période comme celle que nous traversons, car c'est pendant une tempête que l'on mesure la compétence d'un capitaine. Quand la mer est calme, même une chaloupe peut traverser l'océan." Lorsque la récession sera terminée, les PDG dont l'entreprise aura bien performé seront bien placés pour négocier, dit-il. "Le marché récompensera ceux qui auront été solides, et la valeur de ceux qui auront échoué sera revue à la baisse."

La rémunération des PDG risque de causer encore bien des maux de tête aux conseils d'administration. Si certaines pistes de solution semblent prometteuses, elles doivent constamment se mesurer aux forces du marché et lutter contre l'appétit vorace des gestionnaires. "Ceux qui accordent les rémunérations devront se montrer inflexibles, dit Normand Lebeau, car l'être humain étant ce qu'il est, il continuera toujours de demander."

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