Croître dans la diversité

Publié le 15/10/2011 à 00:00

Croître dans la diversité

Publié le 15/10/2011 à 00:00

Pour assurer sa croissance, Momentum Technologies doit proposer des accommodements raisonnables à ses employés originaires de 19 pays. Et ça marche

Le soir de la fête de Noël chez Momentum Technologies, à Québec, le patron, Bruno Cloutier, prend quelques instants pour regarder à la dérobée ses employés danser ensemble, toutes couleurs réunies. Chaque année, dans ce microcosme, il ne voit aucun clan, aucune division ; que du plaisir, sans frontières. "C'est un peu un rêve", confie-t-il, le regard allumé.

Le rêve, qui rassemble des travailleurs de 19 pays, du Brésil à la Réunion, de l'Algérie au Mexique, s'est pourtant construit sur la nécessité. Rassembler ces nationalités dans un bureau d'un quartier on ne peut plus blanc de Québec, Lebourgneuf, ce n'était pas l'objectif du consultant en informatique, spécialisé dans les technologies Oracle et Java. Mais en 2003, quand l'entreprise de services-conseils a été fondée, le nombre de diplômés en informatique et en génie logiciel était déjà en baisse, une conséquence de l'éclatement de la bulle techno à la fin de la décennie précédente. Autre embûche : beaucoup de finissants se montraient plus intéressés par la création de jeux vidéo chez Beenox, et plus tard, chez Frima et Ubisoft, que par la conception de systèmes de gestion informatique pour des assureurs, des entreprises ou des organismes gouvernementaux.

Pour ajouter aux difficultés de recrutement, Bruno Cloutier et ses sept associés, en tant qu'anciens gestionnaires chez Cognicase, rachetée à la même époque par CGI, étaient soumis à des clauses de non-sollicitation.

"On a sollicité d'autres entreprises, notamment DMR, qui a fourni quelques employés, mais toutes présentaient une bonne rétention du personnel. Il fallait chercher ailleurs", se souvient le PDG de Momentum.

Ailleurs, c'était l'immigration, mine d'or de diplômés chômeurs ou sous-employés. Et sans elle, l'entreprise n'aurait probablement jamais pris son envol. Aujourd'hui, 45 % des 120 employés de l'entreprise, analystes, programmeurs, techniciens et autres, sont des immigrants. Tout a commencé avec un couple de Mexicains, envoyé par le Service d'orientation et d'intégration des immigrants au travail (SOIIT), que les dirigeants ont rencontré à l'occasion d'une conférence. Ce couple, un premier exemple de réussite en matière d'intégration, fait maintenant partie de l'équipe des cadres. Quant au SOIIT, il reste un pôle de recrutement important pour l'entreprise.

"Momentum valorise la diversité, une donnée stratégique pour sa croissance", estime Xavier Bonifay, président de Senergy, qui a déjà travaillé à des projets en partenariat avec Momentum.

Le contact avec l'Europe, l'Afrique et l'Amérique demande de l'ouverture. Mais cela permet de proposer des solutions plus complètes et plus efficaces, estime Bruno Cloutier, un homme au visage rond et au regard bleu et lumineux.

"Nos employés ont travaillé avec toutes sortes de technologies et ils ont fait l'expérience de toutes sortes d'approches. Chaque pays a ses forces, et en affaires ou en conseil, c'est le cumul de l'expérience qui rend un conseil plus solide. L'informatique vise l'efficacité : tenter de l'atteindre fait faire des gains."

Les résultats de croissance de Momentum Technologies témoignent de sa force. En 2010, l'entreprise qui a son siège social à Québec, un centre de développement à Longueuil et un bureau à Montréal, figurait sur la liste du Profit 200, un répertoire des 200 entreprises canadiennes qui ont connu la croissance la plus forte, en enregistrant 339 % depuis 2005. Le chiffre d'affaires a atteint 9,7 millions de dollars en 2010 et, selon les projections, il passera à 12 millions pour l'exercice en cours.

Ces résultats enviables n'auraient pas été atteints sans le caractère persuasif de la direction de Momentum. Les préjugés sont encore tenaces dans une ville dont moins de 5 % de la population est composé d'immigrants.

"On a hésité avant de s'ouvrir à l'immigration, se souvient le président de l'entreprise. On ne savait pas trop comment nos clients réagiraient. Il a fallu beaucoup d'efforts et de discussions pour faire accepter des équipes multiculturelles. Officiellement, on n'a pas perdu de contrats, mais officieusement, oui, sûrement..."

Des clients frileux continuent à l'occasion de réclamer des consultants québécois "pure laine". Et tout n'est pas qu'une affaire de langue et d'accents. Momentum Technologies offre des cours de français à ses employés, mais doit aussi les préparer aux différences culturelles en communiquant le mieux possible la nature de l'identité québécoise.

"Deux employés expérimentés, dont un Français, viennent d'Europe ; or, on a dû négocier leur salaire à la baisse, parce que leur rendement n'était pas à la hauteur de nos attentes. Aujourd'hui, ils ont atteint un bon niveau, mais ils ont mis un bon moment à s'adapter à la culture. On pensait que les compétences suffiraient, mais il a fallu être patients et attendre qu'ils comprennent la façon de travailler ici. Ce n'est pas gratuit d'embaucher un immigrant ; parfois, l'adaptation dure deux ans", remarque Bruno Cloutier.

Un ex-militaire ouvert sur le monde

Le PDG de Momentum est un passionné des voyages. Il a trimbalé ses valises en Europe et a appris la persévérance au sein de l'armée. Diplômé en informatique de gestion au Collège militaire royal de Saint-Jean, officier dès sa jeune vingtaine, il a géré les communications de l'armée terrestre, avec plus de 80 soldats sous ses ordres.

"C'est un milieu où on apprend à connaître ses limites, mais où on s'aperçoit aussi qu'on peut les dépasser en travaillant. Devant un projet, je sais mesurer les risques. Si on va au front, c'est pour réussir", affirme l'homme d'affaires de 49 ans, qui s'est placé derrière ses Hernandez et Assamoi pour les soutenir et abattre les préjugés.

Élisabeth Oudar, directrice des stages au Département d'informatique et de génie logiciel de l'Université Laval, considère que Momentum aide beaucoup les immigrants, dans une ville où nom étranger rime encore trop souvent avec portes fermées. Elle perçoit dans cette entreprise un climat familial bien ancré.

"Le côté humain, on le ressent ici plus qu'ailleurs. L'entreprise n'est pas orientée uniquement sur le mandat : elle tient compte de la personnalité des étudiants qu'on lui envoie et prend le temps de les intégrer", dit-elle.

Cette humanité est soulignée par plusieurs collaborateurs de Momentum Technologies. Sur le plan social, l'entreprise met tout en place pour éveiller la curiosité des uns envers les autres. Par exemple, le journal interne consacre de la place à des recettes internationales proposées par les employés. Des déjeuners d'accueil sont organisés pour les nouveaux employés, des parrains s'occupent des immigrants avant même leur arrivée dans l'entreprise, des vétérans sont consultés sur la croissance de l'entreprise, des débutants, sur les manières de communiquer l'information. Bref, personne n'est un numéro dans l'entreprise.

"On travaille beaucoup à avoir l'air petit, même si on grandit", dit le président.

L'entreprise nourrit des projets d'expansion d'abord au Canada, puis à l'étranger, où ses travailleurs immigrants, qui l'aident déjà à recruter des talents hors Québec, pourraient lui servir à ouvrir de nouveaux marchés. Momentum voit grand, mais la croissance se fera pas à pas.

"Freiner est intéressant, parce que ça permet de réfléchir. On pourrait toujours courir, mais on ne ferait que réagir, dit Bruno Cloutier. Je suis un ancien militaire et je sais que, quand on pousse trop fort, les gens tombent au combat. Chaque personne a ses capacités. Il faut repousser les limites de chacun pour grandir, mais il faut savoir laisser du temps de récupération."

L'étincelle de l'entrepreneuriat, c'est son père qui l'a allumée. Incapable de supporter la pression, cet intellectuel employé d'une entreprise de produits optiques espérait que son fils relèverait les défis de la gestion, qu'il avait fuis, faute de confiance en ses capacités.

"Il lisait des livres de motivation, et le dimanche, il me montrait des sections qu'il avait soulignées. C'était important pour lui de me transmettre ce qu'il avait appris trop tard."

Après l'armée, Bruno Cloutier s'est associé à un homme d'affaires pour bâtir des maisons en Floride à la fin des années 1980. À la même période, il a fondé Informatique Dica. Puis, en 1999, son entreprise a été vendue au groupe MSI, lequel a été racheté par Cognicase, à son tour absorbée par CGI en 2003. Le temps était venu de mettre sur pied l'aventure de Momentum Technologies.

"Il a tout pour réussir, estime l'ancien président de Cognicase, Ronald Brisebois, aujourd'hui à la tête d'Isacsoft. C'est un leader de compétences, une rareté en technologie. Il s'agit d'un expert en informatique, prêt à partager son savoir, à transmettre ses compétences. Et c'est pour ça qu'on le suit. En fait, c'est parce qu'il connaît qu'il dirige, et non parce que c'est lui le boss."

Ses compétences d'informaticien, Bruno Cloutier les cultive pour être toujours prêt à s'engager dans un projet d'envergure et à rassurer un client nerveux. Mais pour gérer Momentum Technologies, il lui a fallu être plus qu'un crack de l'informatique. Il a dû devenir spécialiste des accommodements raisonnables. Être ouvert, tendre l'oreille, s'ajuster, et ce tous les jours. Savoir affirmer ses valeurs et ses limites. Dans ses bureaux par exemple, on tolère le hidjab, mais pas la burqa. Un travailleur veut quatre semaines de vacances d'été pour rentrer dans son pays d'origine ? On le lui permet, mais il doit s'entendre avec le client et prévoir une relève à l'interne. Un autre observe le ramadan en travaillant ? On respecte son choix, mais il doit performer les services habituels. Des employés veulent de la viande casher au barbecue estival ? D'accord, mais puisque c'est plus compliqué, ils font eux-mêmes les achats, à même le budget fourni par l'entreprise.

"Le maître-mot est la flexibilité de l'employeur, estime Bruno Cloutier. Cependant, on a choisi de ne pas établir de règles selon les groupes ethniques ou religieux. C'est-à-dire qu'on ne fait pas de faveurs en fonction des groupes. On est souples et ouverts, mais la personne qui embarque dans notre aventure doit collaborer."

Une fois, un employé arabe a refusé d'aller chez un client assureur. Selon ses croyances, un assureur joue à Dieu, donc il n'avait pas le droit de travailler pour lui.

"On a eu un choc. On a parlé avec d'autres employés de sa nationalité pour savoir si c'était culturel ou personnel. L'ouverture et la communication ont porté leurs fruits. Ça s'est terminé en bons termes, on lui a fait comprendre qu'il n'était pas à sa place dans une firme de consultation", raconte le PDG de Momentum. Du même souffle, il précise qu'il s'agissait d'un rare échec dans une aventure multiculturelle qu'il aimerait voir imitée par plus d'entrepreneurs au Québec.

"Si je compare cela aux insuccès vécus auprès de Québécois, il n'y a pas de différence. Dans les bulletins de nouvelles, les immigrants sont associés à la mafia, au terrorisme, aux gangs de rue. Les belles histoires sont moins racontées, mais elles existent."

LES 7 VALEURS DE MOMENTUM

Quand l'entreprise a été fondée, le président et ses associés ont établi ensemble une liste de valeurs qui servent d'appui à toutes les décisions. Le respect tient le premier rang. Viennent ensuite la qualité des services, la qualité de vie, le professionnalisme, l'esprit d'équipe et l'expertise.

"Il faut aller chercher les meilleurs, et c'est important de développer le savoir-faire. L'informatique évolue vite et les connaissances doivent se créer rapidement. On investit régulièrement 10 % de notre masse salariale en formation."

La septième valeur du contrat de mariage des associés de Momentum est la solidité financière. Mais il ne faut pas lire ici que les patrons veulent garnir leur compte en banque.

"Bien sûr, pour être solide, il faut être rentable. Mais on veut investir nos profits, car on souhaite que nos employés se lancent dans une carrière. On veut les former et les encadrer", précise Bruno Cloutier.

Momentum continue de recruter parmi les immigrants et participe aussi aux missions de recrutement à l'étranger proposées par l'organisme de développement économique Québec International. De plus, elle maintient des liens serrés avec les cégeps et l'Université Laval. Enfin, elle offre des stages et des bourses d'études pour stimuler l'intérêt des jeunes talents pour l'entreprise.

"Il ne faut rien laisser passer et être visible. Développer des systèmes d'information est moins "olé" que concevoir des jeux vidéo, mais tout le monde n'a pas envie de faire des jeux ! Cela dit, Beenox, Frima et Ubisoft offrent des environnements attrayants, alors on doit le faire aussi", estime Bruno Cloutier.

Il y a toutes sortes de manières d'être séduisant. On peut offrir des récompenses ou des salaires généreux. Mais chez Momentum, tout semble être défini en fonction de la qualité de vie et de la stimulation. Car aujourd'hui, la principale motivation d'entrepreneur de Bruno Cloutier, c'est d'offrir du travail et de voir grandir ses employés.

"J'ai reçu un beau cadeau un jour, quand un employé qui venait d'acheter sa première maison est passé dans mon bureau pour me remercier en me disant que c'était grâce à moi. C'est une grande valorisation et une belle émotion."

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